LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirbilck dans le JDJ N°248

L'«intérêt supérieur»; oui, mais de qui ?

Le ministre de l'intérieur vient de prendre une circulaire relative au séjour des mineurs étrangers non accompagnés(1) . Il n'est pas dans l'habitude de ce département de se concerter avec les acteurs de terrain; rien d'étonnant donc, au fait que la «société civile» n'ait été associée à aucune discussion préalable.

Il semble qu'il n'y ait pas plus eu de concertation avec d'autres acteurs publics (Fedasil, Service des tutelles,…) ce qui est regrettable mais conforme également à la culture de travail de l'Office des étrangers, pilote de la rédaction de ce document.

Cette circulaire amène un certain nombre de commentaires(2) mais nous nous attarderons ici uniquement sur l'utilisation qui est faite de la notion d'intérêt supérieur de l'enfant.

Certes, il y a lieu de se réjouir qu'un texte officiel fasse référence à cette notion, qui plus est en considérant qu'il s'agit d'un principe général de droit(3) . Bien sûr, la référence à cette notion dans un tel texte est surabondante (puisque la Convention le prévoit déjà) mais ne peut, en soi, faire de tort.

On ne se départira cependant pas d'un sentiment de malaise quant à cette référence. Il s'agit déjà trop souvent d'un concept creux que chacun habille comme il l'entend. Ici, les choses vont plus loin puisqu'il s'agit de justifier des pratiques(4) dont certaines sont pour le moins critiquables.

Si l'Office des étrangers se souciait vraiment de l'intérêt de l'enfant (laissons tomber supérieur, qui n'ajoute rien), pourquoi persiste-t-il dans sa pratique d'enfermement de ces mineurs(5) (pratique qui est non seulement illégale, pensons notamment au fait que les mineurs ne sont pas séparés des adultes, mais objectivement contraire à l'intérêt des enfants privés de liberté) ? Pourquoi ne prévoit-il pas la délivrance d'un document de séjour, à tout le moins provisoire, à tous les mineurs non accompagnés (il s'agit de la première protection permettant à ces jeunes d'exister légalement) ? Pourquoi maintenir un tel arbitraire dans les décisions en matière d'entrée, de séjour et d'éloignement de ces jeunes (on n'est pas dans le domaine du droit mais d'une faveur octroyée aux plus «méritants») ? Pourquoi maintenir la pratique de la délivrance d'un ordre de reconduire avant même que le tuteur n'ait pu remplir sa mission et formuler des propositions durables ? Pourquoi continuer à exiger la production d'un passeport quand on connaît les difficultés pour s'en procurer un  ? Et surtout, pourquoi continuer à soutenir que les décisions que l'Office prend sont fondées sur l'intérêt supérieur des enfants ?

Si tel était vraiment le cas, il confierait à une instance indépendante et plus qualifiée (dont la mission relèverait de la protection de l'enfance et non de la gestion de l'immigration(6)) le soin de décider de la solution durable qui convient le mieux à chaque jeune.

Nous dénions la compétence de l'Office des étrangers pour évaluer la notion d'intérêt de l'enfant en vue de justifier les décisions qu'il prend. N'oublions quand même pas que l'expulsion, il n'y a pas si longtemps de cela, de la jeune Tabita, cinq ans, vers le Congo, sans le moindre accompagnement, après l'avoir maintenue en détention pendant deux mois, a aussi été justifiée par son intérêt !


(1) Circulaire du 15 septembre 2005, Mon. b. du 7/10/05, publiée dans ce numéro, p. 20.
(2) Voyez ce numéro, p. 22.
(3) Ça permet d'éviter toute discussion sur l'application directe ou l'effet de «stand still» de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant; ça ne résout cependant pas la question du contenu réel de cette notion.
(4) Le but premier de cette circulaire est bien de confirmer les pratiques existantes et non de garantir un véritable statut de séjour aux mineurs non accompagnés.
(5) Non sans une certaine ironie, l'Office déclare par ailleurs que l'enfermement des mineurs non accompagnés est une solution qui leur permet de se relaxer (le «leur» vise ici le mineur et non l'Office) !
(6) On pourrait imaginer que ce soit une instance qui relève de l'aide à la jeunesse qui, après enquête sociale, consultation du jeune (ainsi que d'autres instances) et sous réserve de recours, décide de l'avenir de ces jeunes. Cette tâche pourrait de même être confiée au juge de la jeunesse qui a déjà pour mission, dans nombre de circonstances, de déterminer quel est l'intérêt de l'enfant, notamment dans le contentieux familial.