LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°252

Catherine Fonck dans la confusion marchande

«Le marchand et le non marchand sont deux versants d'une même société qui s'interpénètrent et se complètent judicieusement

«Dans un objectif commun de développement de réponses adéquates aux besoins des jeunes, la ministre Catherine Fonck, Belgacom et Microsoft ont souhaité s'associer.»…

Faut-il, sans pour autant l'absoudre, prêter de la naïveté à Catherine Fonck ? Ou bien se dire que cette invention merveilleuse du 20ème siècle : le Marketing, qu'il s'applique aux carrières politiques, aux acteurs quasi monopolistiques de l'informatique mondiale ou de la téléphonie en Belgique, tend inexorablement à effacer les repères et à rapprocher les acteurs les plus improbables dès lors qu'ils y croient voir un quelconque intérêt ?

Microsoft constitue certainement un modèle pour beaucoup d'entreprises obsédées par le développement économique : la conception de ses produits est dictée par une stratégie d'élimination de toute concurrence et l'aliénation d'une clientèle devenue dépendante. Ses méthodes en font un délinquant majeur de notre société. Les pouvoirs publics américains et européens mesurent leur faiblesse lorsqu'il s'agit de lui faire respecter quelques règles garantissant l'intérêt général.

À plus petite échelle, Belgacom ne se débrouille pas mal non plus : connaissez-vous beaucoup d'autres services qui osent, lorsqu'ils sont amenés à baisser leurs tarifs, n'accorder cette «réduction» qu'aux clients qui en font la demande (1) ?

Voilà qui illustre parfaitement le caractère citoyen des nouveaux associés de Madame Catherine.

Les temps sont durs, l'État est pauvre, ne faut-il pas se montrer pragmatique ? Tant pis, une nouvelle fois, il nous faut faire la leçon : dans nos pays riches, le problème de la croissance économique peut être résumé de la manière suivante : la fourniture d'équipement est grosso modo satisfaite et se limite désormais à du remplacement, ce qui ne génère qu'un produit limité.

Plutôt que d'agir en sorte que les pays pauvres, qui manquent encore de tout, accèdent au développement et à la consommation, il a été préféré de développer ce qu'on appelle la «société de l'information», c'est-à-dire, une société où ce qui est vendu n'est pas matériel : accès à internet, programme de télévision, musique, jeux vidéo, abonnement à la téléphonie mobile, GPS, etc. Cette nouvelle consommation de masse s'adresse à toutes les couches de la population de nos pays. À l'instar de la télévision commerciale, il n'y a aucun élitisme, aucune ségrégation de la part des grands opérateurs qui veulent développer leur marché. Il suffit d'observer : la Star Academy et autres programmes de télé-réalité, les jeux ou services (sic) qui font appel aux lignes téléphoniques ou aux SMS surtaxés, les musiques et sonneries téléchargeables (2) pour les GSM, les sites de rencontres et autres chats sur internet…

Tout cela montre à suffisance que la consommation de masse dans nos pays n'exclut pas «de larges couches de la population» qui s'en trouveraient défavorisées ! Au contraire, parvenir à soutirer 25 à 50 euros par mois à une grande masse de petits salariés ou d'assistés sociaux constitue vite un pactole non négligeable.

Dans cette jungle du profit, l'État est réputé placer des limites, établir des règles, garantir l'intérêt général, protéger les personnes les plus faibles. Les bénéficiaires des politiques d'aide à la jeunesse en font certainement partie. Il n'est ni dans les compétences, ni dans les moyens de la Ministre de l'aide à la jeunesse de tenter de calibrer d'une quelconque manière les agissements des requins de l'économie de marché. Elle est seulement en charge d'apporter l'aide spécialisée à l'intention des laissés-pour-compte de l'enseignement, de la sécurité sociale et de l'aide sociale ordinaire. Par quel tour de magie en a-t-elle déduit qu'il lui revenait de distribuer des échantillons de produits de la nouvelle économie ?

Veut-elle d'ici peu inscrire le forfait SMS dans les frais spéciaux des enfants placés ? Le manque d'ADSL va-t-il constituer désormais un critère de placement ? «L'alphabétisation numérique» remplace-t-elle désormais l'alphabétisation tout court ?

Il n'y a pas de fracture numérique, pas plus qu'il n'y aurait de population marginalisée en raison de son incapacité à acquérir un 4x4. Il y a des déficits de formation, des difficultés familiales et éducatives, il y a de l'humain qui souffre d'autre chose que de frustration consumériste. On ne trouve pas de sponsor pour des entretiens d'aide avec des jeunes, des familles, tant mieux, il en va de leur dignité.


(1) Il s'agit en l'espèce de l'exemple du plan tarifaire «Smile» pour les abonnés Proximus. On pourrait citer beaucoup d'autres exemples qui illustrent tant et si bien pourquoi Belgacom jouit, à l'instar de Microsoft d'ailleurs, d'un tel rejet affectif chez un si grand nombre de consommateurs qui estiment ne pas vraiment avoir le choix de rester clients.
(2) Ce seul marché représente 10% du marché «culturel» musical de la planète !