LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°254

Ravalement de façade

Les «Centres publics d'action sociale», CPAS pour les intimes, constituent une institution fondamentale dont la Belgique peut, à juste titre, s'enorgueillir. Ce «dernier filet de protection sociale» a été institué en 1974 (loi sur le minimum de moyens d'existence) et 1976 (loi organique dont on fêtera le 30ème anniversaire le 8 juillet prochain), à une époque où l'on pensait qu'il serait encore possible d'éradiquer la pauvreté.

Cette utopie trentenaire (puisqu'il semble bien qu'il en soit ainsi) méritait une évaluation. Il ne suffit pas de transformer «aide sociale» en «action sociale» et «minimex» en «intégration sociale» pour répondre aux besoins nouveaux de notre société. Cette modernisation s'apparente plus à un ravalement de façade qu'au résultat d'une réflexion en profondeur des meilleurs moyens de combattre la pauvreté (et pas les pauvres).

C'est dire si une évaluation était (et reste) fondamentale. Celle qui a été réalisée à l'initiative de Marie Arena et reprise par Christian Dupont fait l'objet d'une analyse critique (c'est le moins qu'on puisse dire) dans ce numéro du JDJ.

Nombre de questions pertinentes, restant sans réponse, y sont pointées. On ne se départira pas du sentiment (maintes fois vérifié d'ailleurs) que les travailleurs sociaux de ces centres connaissent mal la mission qui leur est impartie.

Qui peut dire, comme le rappelle la décision du tribunal du travail de Bruxelles publiée dans ce numéro, que le centre doit procéder à une enquête sociale, réalisée selon les méthodes les plus adaptées du travail social, qui se termine par un diagnostic précis sur l'existence et l'étendue du besoin d'aide, en vue de déterminer quelle est l'aide la plus appropriée ?

«Méthode les plus adaptées», «diagnostic précis», «aide appropriée» !

Aujourd'hui, l'assistant social de CPAS met dans son rapport ce que le chef de service lui a dit d'écrire et ce qui est prévu dans le programme informatique qu'il est prié d'utiliser. Pas question que l'aide demandée sorte de ce carcan.

En termes d'évaluation, il conviendrait également de se pencher sur les effets de l'utilisation des programmes informatiques sur l'aide accordée. De même, ce qui guide l'octroi de l'aide aujourd'hui n'est plus la conclusion d'une enquête sociale, mais les critères de remboursement dont le CPAS peut bénéficier de la part des pouvoirs publics (ceci se vérifie une fois de plus concernant l'aide sous forme de garantie locative – voir la rubrique «Ici et ailleurs»). C'est le contraire de tous les principes légaux et de l'obligation d'individualiser l'aide.

Quant aux conditions d'accueil dans certains CPAS, elles sont tout simplement indignes. La violence institutionnelle dans toute sa splendeur. Certains se plaignent de la violence dont certains demandeurs font état, mais si l'on traite les gens comme des chiens, il n'y a pas lieu de s'étonner qu'ils réagissent comme des chiens. Certes, les conditions de travail pour le personnel dans certains CPAS sont tout aussi indignes, ce qui ne favorise pas, loin s'en faut, un travail social de qualité. Mais à la différence des usagers, les travailleurs peuvent se mobiliser et développer une lutte collective pour améliorer leur cadre de travail. Ces revendications seront d'autant plus légitimes qu'elles intègrent le point de vue des usagers.

Cela et d'autres choses, Ernst & Young n'aurait pas pu l'effleurer.