LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Amélie Mouton dans le JDJ N°318

LA MAIN DANS LE SAC

Les feuilles tombent, le temps se refroidit, mais il n’a pas fallu attendre Halloween pour commencer à frissonner d’horreur. Car oui, c’est fait : début octobre (1), le gouvernement a approuvé la réforme du régime des sanctions administratives communales. Si le texte est adopté en l’état (2), les communes pourront punir, si elles le souhaitent (3), ces jeunes nuisibles qui, dès 14 ans (mais pourquoi 14 ans au fond, et pas 12 ou 10 ?), n’hésitent pas perturber l’ordre public.

La chasse aux incivilités étant ouverte, d’étranges créatures vont désormais rentrer en scène : les «agents sanctionnateurs» et les «agentsconstatateurs». Un demi-fonctionnaire, un soupçon de juge de la jeunesse, une graine de policier, quelques épices de pion : la recette est inédite, mais les rend capable d’apprécier en un clin d’oeil ce qui relève d’une « incivilité » ou d’« un trouble de l’ordre public ». C’est magique, c’est tout.

Quel goût peut bien avoir cette amère potion (4) ? Oh, un petit effort d’imagination suffit. Tu me provoques ? Tu oses me tenir tête ? Tiens, ça fera 125 euros. Ca t’apprendra. Tu ne les as pas ? C’est pas mon problème. T’as qu’à demander à tes parents. Ils n’ont pas d’argent ? Qu’ils se débrouillent !

Tandis que le modèle protectionnel est attaqué au flanc, la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, elle, sent la migraine monter.

Derrière l’écran de fumée sécuritaire, elle cherche en vain le traitement égalitaire des citoyens, l’intérêt supérieur de l’enfant, le primat de l’éducation sur la répression. Elle s’inquiète : c’est ça l’image de la justice que nous allons offrir à la jeune génération ?

Certains sonnent pourtant le tocsin : le Délégué aux Droits de l’Enfant, la Ligue des Droits de l’Homme, le Conseil de la jeunesse et tout un tissu d’organisations soucieuses de droits fondamentaux et de libertés (5).

La Liga voor mensenrechten, elle, a déjà sorti les masques à GAS, du petit nom néerlandais de ces charmantes sanctions (Gemeentelijke Administratieve Sancties). Elle organise une marche de protestation le 28 novembre 2012 dans la commune d’Ixelles, pionnière dans l’application de ces mesures.

Ah, oui, autant le savoir, en français, le petit nom des Sanctions Administratives Communales, c’est SAC. Assez révélateur, pour une politique qui, au fond, ne cherche qu’à s’en prendre aux portefeuilles.


(1) Tiens, à la veille des élections communales ; comme on dit dans tous les mauvais polars politico-poujadistes, c’est évidemment un hasard de calendrier fortuit. La preuve en est que la Ministre de l’Intérieur n’a absolument pas bénéficié des retombées de ses sorties médiatiques.
(2) Rappelons que seul un avant-projet de loi a été adopté par le Gouvernement ; il doit encore faire l’objet d’un avis du Conseil d’Etat puis suivre son parcours parlementaire, même s’il est très probable qu’en la matière, les parlementaires jouent au «presse-bouton».
(3) Autre particularité, chaque Commune peut décider qui poursuivre et quels faits sont répréhensibles ; bonjour la sécurité juridique !
(4) On lira aussi avec intérêt l’analyse de Jean Blairon, publiée sur www.intermag.be.
(5) Le Centre d’action Laïque a organisé pour sa part un débat avec deux politiques présents : une représentante du Cabinet Milquet qui s’est empêtrée dans ses explications et une parlementaire PS tiraillée entre sa loyauté parlementaire et ses convictions personnelles. Voir la vidéo :ICI