LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck et Thierry Moreau dans le JDJ N°347

Réforme : une question de méthode

Nouvelles compétences aidant, l’aide et la protection à la jeunesse vont être réformées par un nouveau décret dont le contenu et les grandes orientations sont gardés jalousement secrets par un le Ministre et son cabinet. Comme l’oeuvre que l’on dévoile en grandes pompes, il sera présenté début octobre en primeur au Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse (C.C.A.J.).

Mis à part quelques rares initiés, aucun acteur du secteur n’a été consulté au sujet d’une réforme qui peut potentiellement modifier considérablement la donne. Quant aux jeunes et leurs familles, ils ne s’imaginent même pas qu’on pourrait leur demander leur avis, trop habitués à subir des décisions qu’à pouvoir activement participer à leur élaboration, trop habitué à être contrôlés plutôt que soutenus. Pourtant, ils sont sans doute les mieux placés pour pointer ce qui, dans le dispositif actuel, peut être amélioré ou modifié dès lors que toute réforme devrait avoir pour objectif prioritaire d’augmenter leur indice de satisfaction.

Etonnant qu’un nouveau décret dont l’objet est d’améliorer concrètement, sur le terrain, la vie des familles et des jeunes s’élabore exclusivement dans l’environnement cosy de bureaux bruxellois. Difficile de croire que ceux qui ont en charge la responsabilité de cette compétence puissent penser qu’il suffit de lire quelques études, consulter l’un ou l’autre expert et coucher un peu d’encre sur du papier pour améliorer la situation. A défaut de fonder la réforme sur l’avis des jeunes et des familles et l’expérience des acteurs de terrain, qu’est-ce qui va dicter les nouvelles orientations ?

Faire plus avec moins ? Mieux manager les stocks de situations problématiques ? Améliorer les procédures et les structures ? Traiter les nouvelles compétences héritées de la dernière réforme de l’Etat de manière purement gestionnaire, sans que cela s’inscrive dans un projet politique cohérent et ambitieux (cfr. la gestion du transfert du Centre de Saint-Hubert du Fédéral à la Communauté),... Toutes choses sans doute fort intéressantes mais pas déterminantes.

Pour des raisons budgétaires et managériales, l’aide et à la protection de la jeunesse souffrent principalement d’une incapacité de fournir du temps et des moyens en suffisance aux jeunes et à leurs famille. Les acteurs sont investis et de bonne volonté mais ils ne sont plus en mesure de construire avec eux des réponses adaptées, cohérentes et de qualité. Pourtant, pour maximaliser les chances que l’aide soit épanouissante, il est souhaitable qu’elle repose sur une philosophie de l’intervention où le béné? ciaire de l’aide devient un partenaire. N’oublions pas que le sens premier de l’accompagnement est «marcher avec un compagnon», sachant que l’éthymologie de compagnon est cum panis, «partager le pain avec l’autre». Un décret qui a été élaboré sans avoir écouté ni les béné? ciaires de l’aide ni les acteurs de terrain risque fort de rater sa cible. Sans doute nous dira-t-on que, rendu public, le projet sera soumis à une concertation pour faire croire à une large adhésion alors que les avis seront tout au plus suivis à la marge. Ne nous laissons pas abuser. Partir d’une page blanche et chercher ensemble à déterminer un projet commun est tout autre chose que de réagir à un texte écrit par l’autorité en charge de la réforme dont les orientations majeures ont déjà été adoptées. Or les enjeux de cette réforme sont conséquents : maintien ou non du dessaisissement, la place des IPPJ (dont la nouvelle de Saint-Hubert), le nombre de places fermées, la disponibilité des services d’aide, la capacité d’intervention, le rôle et la place du judiciaire dans le futur dispositif, etc. La connaissance et l’expérience des jeunes, de leurs familles et des acteurs de terrain sont une expertise dont on ne peut se passer pour les traiter.

Aussi génial que pourrait éventuellement être ce texte, la méthode utilisée pour son élaboration est un signe très négatif. Dès sa conception, il renoue avec les habitudes du passé. C’est précisément cette méthode du «on sait ce qui vous convient» qui devrait être réformée au profit d’une approche fondée sur un «cherchons et élaborons ensemble les pistes de solution» ainsi que d’une mise à disposition de moyens suffisants. L’enjeu est moins de réformer le dispositif que la manière dont celui-ci est élaboré et mis en oeuvre.