LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Caroline De Man et Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°350

Les «jeunes» une affaire qui rapporte… ?

Les «jeunes» ont la part belle ces jours-ci dans la presse écrite. Que nous donnent-on à lire ? L’actualité récente invite volontiers les journalistes à revenir sur des pratiques policières de contrôle, voire d’arrestation, qui semble s’adresser spécifiquement à des jeunes, de sexe masculin, d’origine étrangère… entendez par là ce qui ressemblerait de près ou de loin (surtout de loin) à un éventuel sympathisant de l’ennemi public numéro un de cette fin d’année. D’apparence magrébine only, l’excès de zèle a ses limites tout de même !

On lit aussi que les circuits de l’enseignement sont sur le point de sauter. L’alerte est donnée, d’ici quelques années, les places libres dans les classes existantes seront rares, donc elles deviendront très chères. Un grand nombre de places doit être créé d’ici dix ans… et ça fait bien autant d’années que les politiques en sont informés.

Les mêmes questions se posent à tous les niveaux d’enseignement : à terme y aura-t-il suffisamment de bâtiments, de professeurs, d’agréments, de financements ? Comment garantir l’accès à un enseignement de qualité, droit acquis pour tout enfant que l’état soumet, par ailleurs, à l’obligation scolaire ? Pour le coup, les pouvoirs publics sont pris de vitesse, mais certainement pas pris par surprise, à quoi ça rime ?

Les résultats d’une recherche récente sur les jeunes dessaisis sont accablants : 90% des jeunes jugés comme des adultes ont été condamnés ultérieurement à au moins une peine de prison, et un tiers de ces mêmes jeunes est toujours en détention (1). Voilà qui met au défi la capacité des politiques à intégrer l’évaluation de l’action publique à une planification de celle-ci, d’autant plus que la justice pour mineur est en pleine période de réforme. Comment le projet de décret Madrane va-t-il (ou pas) se saisir de ces informations et les transformer en outil de prise de décision ?

La quasi-nullité de l’efficacité du dispositif devrait suffire à convaincre. Toutefois, si l’on creuse, il est facile de dérouler l’argument économique qui pointe l’absurdité budgétaire de sous investir dans la prévention. Il est largement démontré que pareil investissement est rentable pour les contribuables et ce jusqu’à dix fois la mise de départ (2).

Il est tentant de surfer sur cette vague de management qui accroit la plus-value du respect des droits des enfants par le biais de sa rentabilité sur le plan financier : «if it’s good for children’s rights it’s good for business !». Slogan phare des entreprises qui portent l’étendard de leur responsabilité sociale avec une «bonne foi» qui frise souvent l’hypocrisie. La violation des droits de l’enfant à grande échelle (qui est la règle plutôt que l’exception en ce bas monde) rapporte bien plus que les maigres efforts des entreprises qui ont fait du respect des droits humains un argument de vente porteur.

Les jeunes ne sont-ils qu’un problème à régler ? Ne sont-ils qu’un enjeu économique ? Ne sommes-nous pas en présence de lectures réductrices de cette population ? Le risque inhérent à cette double réduction dépréciative est de grever les perspectives d’avenir. Dans ce sens, attendre des solutions c’est poser la question suivante : in fine à qui profitent les jeunes ?


(1) An NUYTIENS, Yana JASPERS et Jenneke CHRISTIAENS, «Renvoyer les jeunes délinquants vers la justice des majeurs, et après ?», Justice et Sécurité – Justitie en Veiligheid, n°3, décembre 2015. Consultable en ligne : https://incc.fgov.be/criminologie/jsjv
(2) Julie SAVIGNAC, «Familles, jeunes et délinquance : portrait des connaissances et programmes de prévention de la délinquance juvénile en milieu familial», Rapport de recherche, Centre national de prévention du crime (CNPC), Canada, 2009, p. 13.