LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Caroline De Man et Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°353

Le «travail faisable» ou la fable d’une flexibilité au bénéfice de tous

Un projet de loi concrétisera bientôt une réforme du travail pour une plus grande flexibilité de l’horaire des travailleurs. C’est absolument fabuleux, à entendre le ministre de l’emploi, aménager l’organisation de la prestation des heures de travail pourra servir à la fois le bien-être des entreprises et celui des travailleurs : permettre aux entreprise de s’offrir plus de souplesse selon les besoins de leur production et aux travailleurs d’aménager leurs début et fin de journée de travail, afin d’être disponible autrement selon leurs activités personnelles. Une réelle innovation sociale, se targue le ministre (1).

Or, pour pouvoir être qualifié d’«innovation sociale» (2), un projet doit répondre à plusieurs exigences dont celle d’être portée par différents acteurs afin d’être en mesure «d’apporter des solutions efficaces à des enjeux complexes auxquels ni l’Etat, ni le marché ne peuvent répondre seuls» (3). Mais au-delà de la concertation avec les partenaires sociaux, qu’en est-il des catégories peu ou (toujours) pas représentées par ces partenaires traditionnels, en raison des difficultés massives qui se dressent contre leur intégration dans le monde du travail d’une manière stable et décente ?

Sans surprise, il est évidemment question des travailleurs peu qualifiés, âgés, des migrants de deuxième génération et des jeunes (4), certains cumulant, pour leur plus grande infortune, plusieurs de ces caractéristiques.

Outre cette réforme législative annoncée, les mesures envisagées par ailleurs au niveau des régions tels les plans de mise en oeuvre de la Garantie Jeunesse restent, selon le Conseil de la Jeunesse de la Communauté Française (CJCF), insuffisants et inadéquats. Et partant, ils ne font que renforcer les dispositifs du Forem et d’Actiris tels que le nouveau stage de transition subsidié, et oeuvrent, in fine, pour une plus grande précarisation des travailleurs les plus vulnérables.

«Malgré ces taux de chômage alarmants, exclusions du système d’allocations, stages précaires, discriminations en tous genres caractérisent la corde raide sur laquelle de plus en plus de jeunes sont entrainés lorsqu’ils rejoignent le marché du travail», déclare le CJCF.

Quel cynisme de la part du gouvernement de prétendre que cette réforme rencontrera effectivement le bénéfice de tous. Fataliste, le directeur d’Actiris à Bruxelles se réjouit de la diminution du nombre de chômeurs tout en reconnaissant qu’un tiers est dû à l’exclusion de bénéfi ciaires…

Exclusions qui sous des apparences neutres et réglementaires affectent systématiquement les catégories de la population les plus vulnérables pour les reléguer au mieux aux CPAS. Les «innovations» en matière d’emploi ignorent constamment les conséquences néfastes qu’elles entraîneront sur les besoins sociaux qu’elles prétendent vouloir rencontrer. Faute de donner des perspectives d’emploi aux jeunes et aux autres catégories vulnérables, ou en les cantonnant dans des boulots précaires, peu valorisants et n’off rant pas de perspectives de promotion sociale, c’est le sens du travail qui s’en trouve profondément atteint. Ceci, tant pour les candidats au travail que pour les intervenants amenés à les guider et les contrôler (5).

Le travail, un vecteur de bien être ? Sans doute, mais pour qui ?

Caroline De Man et Benoit Van Keirsbilck


(1) www.lalibre.be/actu/politique-belge/controle-budgetaire-un-projet-de-loi-avant-l-ete-sur-une-nouvelle-organisation-du-travail- 57092cf335702a22d6374f4a
(2) www.avise.org/decouvrir/innovation-sociale/innovation-sociale-de-quoi-parle-t-on
(3)http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=1022&langId=fr
(4) http://ec.europa.eu/europe2020/pdf/csr2016/cr2016_belgium_fr.pdf
(5) www.alterechos.be/alter-echos/avis-de-tempete-sur-le-travail-social