LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°401

«J’aime pas les étrangers»

Ça se passe en France. Un jeune apprenti boulanger donne pleinement satisfaction à son patron ; il paraît que c’est assez rare et qu’il y a une pénurie d’apprentis, surtout motivés, pour se lancer dans cette profession exigeante, avec des horaires particulièrement lourds.

Cette histoire, en définitive très banale, aurait pu rester ignorée du monde.

Mais le rêve du jeune homme s’écroule du jour au lendemain. Forcément, il n’est pas né au bon endroit et ne dispose pas des bons papiers pour se prétendre citoyen. Certains disent qu’il est illégal, comme si l’existence d’une personne pouvait se satisfaire d’un tel qualificatif d’une violence inouïe.

C’est juste que le système français, comme le belge d’ailleurs, tolère jusqu’à leurs 18 ans la présence de ces jeunes, arrivés en Europe sans être accompagnés d’un représentant légal. Mais une fois atteint cet âge fatidique, on leur montre la porte en rappelant si besoin est que nos pays ont déjà été particulièrement généreux et que comme chacun devrait en être convaincu, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, même si ça signifie qu’on doit se contenter de pain industriel.

Ici, Laye Fodé Traore, puisqu’aujourd’hui son nom a été largement médiatisé, a eu la chance extraordinaire de tomber sur un patron pétri d’humanité, qui n’a pas suffisamment de mots pour qualifier l’imbécilité de son Gouvernement qui entretient un jeune homme pendant des années en lui donnant la chance de pouvoir suivre une formation, mais qui ensuite s’en débarrasse comme on renvoie un colis à l’expéditeur, sans même prendre soin de l’emballer correctement.

Et ce boulanger au grand cœur de faire une grève de la faim jusqu’à ce que son apprenti bénéficie du sésame. Son geste a ému une communauté d’êtres humains qui ont à leur tour crié toute leur indignation jusqu’à ce que ça arrive aux oreilles des autorités qui ont pu se la jouer grands seigneurs en faisant une exception fondée sur leurs valeurs humanitaires (mais non dépourvues d’un calcul électoral et de la réalisation d’un « damage control »).

Tout est bien qui finit bien, le jeune homme va pouvoir poursuivre sa formation et pourra peut-être, le moment venu, reprendre la boulangerie de son généreux sauveur.

Happy end ! Cette histoire ne se terminera pas comme le sketch de Fernand Raynaud « j’aime pas les étrangers ».

Eh bien non ! Tout dans cette histoire est une démonstration de la faillite de la politique de migration qui est totalement discriminatoire et inhumaine. On passe de l’absence de perspective donnée à ces jeunes à une politique de passe-droit qui donne des avantages aux seuls héros (qui sauvent un enfant d’un incendie ou de la noyade) ou aux personnes qui bénéficient d’une mobilisation bien orchestrée.

Il y a en Belgique des centaines de Laye Fodé Traore qui finissent dans des impasses administratives inextricables sans avoir sa chance. Ils sont plus ou moins jeunes, seuls ou en famille, avec des enfants nés à l’étranger, pendant leur trajet migratoire ou même en Belgique.

Pour contrer le fait du prince (pratique moyenâgeuse), il nous faut absolument une procédure permanente de régularisation, qui repose sur une instance indépendante utilisant des critères un tant soit peu objectifs qui prennent en compte les droits humains et l’intérêt supérieur des enfants concernés. Bref, un changement total de paradigme. Le politique résiste pour l’instant, mais la pression va aller croissante, c’est une certitude. Et on arrivera au point où il ne sera plus possible de l’éviter. Plutôt tôt que tard!

Benoit Van Keirsbilck