LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°403

Oui, c’est politique; et alors ?

C’est tout de même incroyable qu’il faille rappeler que la lutte contre la pauvreté, c’est politique, comme si on retirait de la noblesse à ce terme qui ne pourrait s’appliquer qu’à l’économie et la finance.

C’est pourtant l’accusation à laquelle a dû faire face Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des services sociaux (FdSS) et membre de l’éphémère GEES (Groupe d’experts en charge de « l’exit stratégie »), instance qui était chargée d’éclairer le Gouvernement au moment où l’on croyait encore qu’on allait déconfiner rapidement après la première vague du Covid19.

Elle était quasiment la seule à porter la voix des personnes les plus précarisées, qui cumulent les «tares» de subir, peut-être plus que d’autres, les conséquences sociales et économiques de la crise sanitaire et leur invisibilité sociale.

Et quand la précarité explose en peu de temps, dans un système déjà à l’asphyxie, c’est le paratonnerre (pour reprendre l’expression de Christine Mahy, présidente du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté dans un interview à Alter Echos), c’està- dire tous les services sociaux chargés de contenir les débordements d’inégalités, qui craque.

La pauvreté, on préfère ne pas la voir, ne pas savoir qu’elle existe, tel ce sans-abri qu’on croise tous les matins mendiant dans le même couloir sombre d’une gare, ou cette famille assise sous un porche ou à l’entrée d’un grand-magasin.

Dès lors, quand le monde politique est contraint et forcé de s’en préoccuper alors qu’il a tant de problèmes tellement plus importants à régler (sans aucunement vouloir dénigrer d’autres secteurs de la vie sociale), l’accusation fuse : «vous faites de la politique» !

Pourtant, tous les acteurs (en particulier les travailleurs) sociaux posent quotidiennement des actes politiques. Choisir d’organiser une distribution de vivres ou revendiquer un accès à la sécurité d’existence digne pour tous, c’est de la politique. Lutter contre la criminalisation de la mendicité, c’est de la politique. Favoriser un accès au logement inconditionnel comme porte de sortie du sansabrisme, c’est de la politique. Dénoncer le maintien du statut de cohabitant qui maintient nombre de personnes dans des situations indignes, c’est de la politique.

Dire que la pauvreté, certains la vivent dans leurs tripes, c’est une affirmation politique. Rappeler que des milliers d’enfants vivent l’exclusion totale parce qu’ils sont maintenus volontairement sans documents d’identité en Belgique, ce n’est rien d’autre que de la politique.

Rappeler que l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976 relative aux centres publics d’action sociale clame que «Toute personne a droit à l’aide sociale. Celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine», c’est de la politique, uniquement de la politique et rien que de la politique.

Séparer, comme d’aucuns le font, les actes juridiques, des actes politiques, n’a pas de sens. Ceux-là étant la mise en oeuvre concrète de ceux-ci.

Alors oui, la lutte contre la pauvreté appelle urgemment des actes politiques forts, inspirés par les experts du vécu soutenus par les personnes qui savent réellement de quoi elles parlent.

Et pour commencer, relisons le Rapport pauvreté, droit de suite 2009-2019 du Délégué général aux droits de l’enfant «pour faire à nouveau la lumière sur les conséquences désastreuses de la pauvreté sur les droits de l’enfant», qui plus est, dans la tornade de la pandémie et l’ouragan de ses conséquences.

Benoit Van Keirsbilck