LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Ingrid Gilles * dans le JDJ N°274

Ces parasites dénommés ... les jeunes

En violation manifeste des droits fondamentaux, le «mosquito» – boîtier diffusant un son strident chargé de faire déguerpir les adolescents – défie simultanément la liberté d'association, de réunion pacifique, notamment en rue, le respect de la vie privée et l'interdiction de la torture, des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Et que dire des questions éthiques (assimilation jeunes - insectes) et de santé publique que l'exposition à un tel bruit supposent (harcèlement auditif potentiellement très dommageable) !

Ces dispositifs à visée ultra-sécuritaire servant à débusquer un groupe social dont la présence est jugée illégitime par d'autres individus (en vertu de quelles prérogatives ?), sont contraires aux valeurs des états démocratiques.

Après les couvre-feux, les CD de musique classique dans le métro, voici donc le «mosquito», nouvel abus (in)justifié au regard de la prévention situationnelle qui loin de résoudre les éventuels problèmes ne fait que les déplacer, les dissimuler pour enfin les ignorer.

Quelle affreuse société, celle qui a peur de ses jeunes au point de les réduire à de vulgaires insectes à éliminer de certains territoires, places, parcs, galeries, abords de banques, etc. ! Appartenir à la «jeunesse» serait donc une tare en soi qui doit être bannie de la communauté (tels les lépreux au Moyen Age repérables à l'aide d'une… crécelle).

Plus grave ? Quand un peuple ne considère plus une partie des siens comme des Hommes mais comme des êtres nuisibles, l'Histoire doit nous convaincre de nous ressaisir.

L'extrémisme et la ségrégation sont des conséquences directes de la déshumanisation de la partie dite «néfaste» de la population réduite au rang d'«inférieurs» dépourvus du droit d'exister.

Pourquoi stigmatiser les jeunes (ici, l'ensemble des 12-22 ans sans distinction; jusqu'à ce que d'autres ingénieurs développent une tonalité pour les jeunes «training-casquette», «gothique», «BCBG», etc) ?

Par le passé, les jeunes étaient considérés comme une force de progrès, un réservoir de main-d'oeuvre destinée à développer l'économie. Aujourd'hui, alors qu'il n'est plus possible de les exploiter comme auparavant, ils sont inutiles au monde (2). Dès lors, la «Société» bien-pensante s'inquiète de ces jeunes dits oisifs (parfois exclus de l'intérieur (3) du système scolaire) parce que, de temps à autre, ils traînent en rue.

Paradoxalement, la valeur jeunesse fait fureur : flexibilité, dynamisme, créativité… maîtres mots du «management» moderne. Les élixirs de jouvence sont vantés, mais la catégorie «jeune» n'a jamais eu aussi mauvaise presse.

Parias parmi les parias, les mineurs délinquants – spécialement les meurtriers –, pourtant largement minoritaires, font la une des journaux (4). Malgré les croyances, les jeunes ne sont pas plus violents ou délinquants, mais tels une partie de la population, ils sont désemparés face à la précarité et l'incertitude qui caractérise leur – mauvaise – posture sociale.

Cette jeunesse – surnuméraire – , vertement critiquée, faut-il la faire disparaître aux yeux du monde (en la mettant sous cloche à distance de la collectivité, c'est-à-dire en la supprimant symboliquement du jeu relationnel, ou mieux, comme le proposait Moncef Marzouki, la congeler dans l'azote liquide (5)) ou la stimuler, croire en elle, lui offrir des perspectives d'avenir en réfléchissant à une politique plus solidaire et à la création d'une société favorisant la cohésion sociale ?



* Criminologue au Service droit des jeunes de Namur.
(1) Pétition contre le «mosquito» sur www.trianglerouge.be.
(2) Cf. Castel R (1996).
(3) Cf. Bourdieu P (1993).
(4) «Au regard des données statistiques disponibles pour les années 80, les signalements de mineurs aux parquets de la jeunesse pour des infractions ont plutôt tendance à diminuer. Seuls 3 mineurs sur 1.000 sont suspectés de vols avec violence et un sur 100.000, soit une part infime de mineurs, d'implication dans un homicide » dit l'Institut national de criminalistique et de criminologie in Le Soir, vendredi 19 octobre 2007, p. 9.
(5) Moncef Marzouki, «Dangereuse adolescence : persiflage et grincements de dents», in JDJ n° 210, décembre 2001, p 12.