LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Jean-Luc Rongé dans le JDJ N°283

Passer à l'offensive

On pourrait commencer à en avoir marre de se plaindre de la pusillanimité du pouvoir à l'égard de sa jeunesse, de sa propension à envisager la prévention comme un cordon de policiers anti-émeute, de condamner les familles responsables des dérives sociales qui conduisent leurs rejetons à mépriser les pères et mères humiliés.

Et si on commençait - ou plutôt on continuait - à parler «pédagogie», «éducation», non pas celle qui déguise les réductions budgétaires par un discours de retour aux sources d'une école où on se lève (tôt) quand le professeur entre en classe, où le «maître» a pour seul souci de se faire entendre, quoiqu'il raconte ?

Et si on parlait de ce qui se fait, ce qui se construit contre les vents et marées libéraux alliés à une conception rétrograde de l'autorité ? Cette fois, plusieurs auteurs invoquent les mânes d'ancêtres illustres de la pédagogie tels Francisco Ferrer, Paul Robin, Anton Makarenko, Moisei Mikhailovich Pistrak, Janusz Korczak, Barthélémy Profit, Célestin Freinet, Alexander Sutherland Neill. Quoi ! Ces illuminés qu'on sort du grenier, ces «communistes» qui voulaient faire la République des Soviets avec les enfants ?

D'abord, le premier a été fusillé trop tôt (1909) et était un libre penseur, il appelait «à la réflexion et à l'observation de l'enfant, à la coéducation des sexes et des classes sociales, au refus des punitions et des examens, à l'apprentissage de la solidarité, à l'autodiscipline et au respect de l'autonomie de l'enfant».

Le second était plutôt un concepteur de liberté et d'égalité des sexes, selon lequel «tout enfant a droit de devenir en même temps un travailleur des bras et un travailleur de la tête».

Les deux suivants ont en effet accompagné la «Révolution» et se sont maintenus sans faire sourciller le petit père des peuples malgré leur propension à promouvoir la coopération entre les enfants et à établir une démocratie avec les «maîtres». Profit mit en place la classe coopérative, fonctionnant sur les principes démocratiques.

Korzjak, que l'on considère comme le père spirituel de la Convention des droits de l'enfant, avait mis en place des règles de vie pouvant conduire à une véritable prise en charge des enfants par eux-mêmes. Et pour Freinet, dont les méthodes sont encore reconnues, «l'idéologie totalitaire joue sur un complexe d'infériorité de la grande masse qui cherche un maître et un chef. Nous disons, nous : l'enfant - et l'homme - sont capables d'organiser eux-mêmes leur vie et leur travail pour l'avantage maximum de tous».

Neill, tant décrié, affichait comme principe que la voix des adultes n'a pas plus de poids que celle d'un enfant.

On ne parlera donc pas de cadavres dans ce numéro du JDJ, mais de méthodes qui ont traversé le temps et qui sont aujourd'hui activées dans certaines écoles où l'on considère que l'énoncé des droits – et des devoirs – ne suffit pas à former l'Homme libre, mais bien la pratique sociale qui commence par la solidarité.

Alors, passer à l'offensive, c'est montrer que la morosité – et parfois la résistance – ne suffisent pas à forger l'alternative au discours culpabilisant et ravageur qui domine, mais qu'une autre éducation se construit dès aujourd'hui avec les enfants et qu'il faut en diffuser les outils.