LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES
L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°294
De la lutte contre la pauvreté à la chasse aux pauvres
Le rapport général sur la Pauvreté a été écrit en… 1994. À peu de choses près, il aurait pu être écrit aujourd'hui. C'est dire que la situation n'a pas évolué… dans le bon sens. En effet, tout indique que la pauvreté est en progression de manière alarmante. Pourtant, il serait faux et injuste de dire que rien n'a été fait, ni que la pauvreté n'est pas souvent mise comme priorité des politiques, tout au moins au niveau des discours, mais aussi, dans une certaine mesure au niveau des actes.
Si en 1976, la Belgique pouvait se targuer d'être à la pointe des politiques de lutte contre la pauvreté avec l'adoption de la loi Organique des Centres publics d'aide (devenus d'action) sociale, les fameux CPAS, basée sur la notion de dignité humaine, aujourd'hui, on préfère réhabiliter la soupe populaire et chanter pour les restos du coeur, ça donne bonne conscience.
Les prisons sont trop souvent utilisées comme cache misère (1) et «Les résultats de la recherche sont sans équivoque : il y a un rapport entre le fait de vivre dans la pauvreté et le risque accru d'être confronté à une intervention de l'aide à la jeunesse» (2).
Ce n'est plus tant la pauvreté qui est combattue mais on assiste véritablement à une chasse aux mendiants, sans-abris, … qu'on aimerait mieux ne pas voir, ça fait tache (3).
À qui la faute ? Et surtout, que faut-il faire face à ce constat de faillite ?
Si on se réfère à Pierre Defraigne (4), «Le progrès technique et la mondialisation sont les deux principaux facteurs économiques générateurs d'inégalités. Mais c'est la finance dérégulée et débridée qui a fourni l'arme de ce hold-up sur la croissance».
«Aujourd'hui, on n'a plus le droit ni d'avoir faim, ni d'avoir froid» chantait Coluche. C'est bien là le problème : la dignité humaine n'est plus considérée comme un droit inconditionnel garanti à chacun, c'est une faveur accordée aux méritants.
La lutte contre la pauvreté doit trouver son fondement dans la dignité humaine et dans le droit. Et cette approche est inconciliable avec l'ultra-libéralisme totalement débridé prôné par l'Europe. Faute de quoi la stratégie 2020 de l'Union européenne, «plan comm» bien rôdé, peut être considérée comme morte née.
(1) Loïc Wacquant, Les Prisons de la misère, Éditions Raisons d'Agir, 1999
(2) F. De Boe et I. Delens-Ravier, Pauvreté et Aide à la jeunesse : un lien ?, ce numéro, p. 24
(3) Le mot «chasse» n'est pas utilisé au hasard ; voyez la manière dont les mendiants ont été tout récemment chassés de la gare du Nord !
(4) Voir «La stratégie 2020 et la lutte contre la pauvreté en Europe : Idéal égalitaire contre idéologie néolibérale», ce numéro, p. 30
