LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°301

Enquête-express et amalgames

La RTBF, qui se présente encore comme un service public, fait dans le populisme de bas étage en diffusant sur son site une « Enquête-express : 5 questions sur... l'insécurité ». Elle prétend vouloir aborder ce thème «sans tabous ni angélisme» lors d’une émission le 15 février sur la RTBF (chacun aura pu vérifier ce qu’il en est!).

Les questions posées pour présenter cette émission sont on ne peut plus “bateau” et on ne peut y répondre que par «oui, non ou sans avis». Qu’on en juge : « l’insécurité vous préoccupe-t-elle ? L’insécurité est-elle liée à la crise économique ? Faut-il abaisser la majorité pénale à 16 ans ? Les parents de jeunes délinquants doivent-ils être considérés comme co-responsables ? Les partis se préoccupent-ils suffisamment des problèmes d’insécurité dans leurs programmes ?»

Quel est l’agenda caché de la RTBF ? Quel enseignement espère-t-elle pouvoir en tirer ?

Que 82% des sondés estiment qu’il faut abaisser l’âge de la majorité pénale ?

Que 98% des sondés trouvent que les partis ne se préoccupent pas assez de l’insécurité  ?

Et après ? Va-t-elle se saisir de cette pseudo-scientificité pour réclamer qu’enfin les politiques se préoccupent de la délinquance, ce qui signifie à l’évidence cet abaissement de l’âge de la majorité pénale ?

Il est plus que vraisemblable que les personnes qui prennent le temps d’y répondre sont du même acabit que ceux qui ont leurs journées (à croire qu’ils n’ont vraiment rien d’autre à faire !) pour déposer des commentaires sur les sites des journaux : le niveau y est tellement bas que c’est à désespérer du genre humain. Si le sondage avait laissé la possibilité de déterminer l’âge adéquat de la majorité pénale (pourquoi propose-t-il 16 ans d’ailleurs ?), aurait-on vu une majorité se dégager pour la fixer à 7 ans ?

La démarche est aussi dangereuse et malhonnête.

Malhonnête parce qu’on ne définit pas de quelle insécurité on parle. Celle du travailleur qui risque de perdre son emploi, du locataire qui risque d’être expulsé d’un logement insalubre mais qui lui procurait un toit, de cette vieille dame qui n’ose plus sortir de chez elle parce que les medias ont tellement entretenu ce sentiment d’insécurité qu’elle en est devenue convaincue ? De ces jeunes qui sont contrôlés dix fois par jour par des flics qui abusent de leur pouvoir ? De ces familles qui vont être expulsées du territoire parce que l’Europe se replie sur elle-même ?

Malhonnête parce qu’emplie d’amalgames : implicitement, la solution proposée c’est l’abaissement de la majorité pénale et la responsabilisation des parents.

Dangereuse parce qu’on sait que le thème est éminemment sensible et qu’il requiert nuances, doigté et pédagogie. Et surtout parce qu’il est le thème de prédilection des périodes politiques troublées (et qu’il sera récupéré par l’extrême-droite à qui on offre ainsi une tribune gratuite à leurs propos nauséabonds) : en focalisant sur cette question, on oublie que les priorités politiques actuelles ne concernent pas le bien-être de la population, mais des problèmes institutionnels.

Il convient que le Conseil d’administration et la direction de la RTBF reconnaissent qu’ils ont commis une faute journalistique et que les organes chargés de contrôler les médias balisent l’utilisation de produits d’appel, tels que cette enquête- express qui ouvre la porte à des dérives manifestes.