LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°329

Le visage hideux de la Belgique

Après avoir toléré la situation pendant plus de 4 ans, la Commune de Saint-Josse, dans la région bruxelloise, a décidé de déloger, manu-militari, les dizaines de personnes, dont nombre de familles et d’enfants, qui occupaient un bâtiment vide, le couvent de Gésu, objet d’une spéculation immobilière invraisemblable.

L’expulsion, qui a mobilisé près de 200 policiers, a débuté à 6 heures du matin; les occupants ont été réveillés brutalement, priés d’embarquer dans un bus, amenés dans une salle de sport pour y être identifiés. Imagine-t-on un seul instant la terreur d’un enfant réveillé brusquement, très tôt le matin, par des pandores suréquipés (matraques, boucliers,...), transbahuté sans ménagement et sans comprendre ce qui se passe ?

Cette expulsion et la manière dont elle a été menée sont inacceptables. Il n’y avait pas plus d’urgence que quelques années plus tôt, mais surtout, elle a été réalisée sans réel plan de relogement des familles et enfants. La preuve en est que le soir de l’expulsion, le Bourgmestre de Saint-Josse, Emir Kir, négociait encore avec le Samu Social de Bruxelles pour trouver des places d’accueil et que celui-ci a dû précipiter la mise en place du plan hiver.

Comment ces mêmes autorités, qui se sont avérées incapables de proposer un hébergement à ces familles pendant quatre ans, pouvaient-elles trouver une solution digne en quelques heures ?

Les solutions de fortune mises en place n’ont d’ailleurs tenu que quelques jours ; la plupart des «expulsés du Gésu» n’ont toujours pas, à l’heure actuelle, trouvé d’alternative acceptable pour se reloger.

On ne me fera pas croire qu’il n’était pas possible de procéder autrement; s’il était réellement avéré que les lieux devaient être vidés (la situation de quelques personnes en haillons ne pèse pas bien lourd face à un promoteur qui envisage la construction d’un hôtel cinq étoiles). Rien, absolument rien, ne permet de justifier ces méthodes que d’aucuns ont, à juste titre, assimilé à des pratiques d’un âge que l’on croyait définitivement révolu.

La Cour européenne des droits de l’Homme vient d’ailleurs de condamner la France(1) pour des pratiques en tous points similaires : l’expulsion d’un camp de gens du voyage, qui avait été toléré par la municipalité pendant des années, sans solution de relogement.

La Cour rappelle que la perte d’un logement, même précaire, est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile. Toute personne qui risque d’en être victime doit en principe pouvoir en faire examiner la proportionnalité par un tribunal, ce qui implique qu’une attention particulière soit portée aux conséquences de l’expulsion et au risque que ces personnes ne deviennent sans abri.

Cette ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale ne pouvait être considérée comme «nécessaire dans une société démocratique» que si elle répondait à un besoin social impérieux. La Cour souligne que de nombreux textes internationaux insistent sur la nécessité, en cas d’expulsions, de fournir un relogement et de tenir compte de l’appartenance des requérants à une minorité vulnérable.

Dans les cas des expulsés du Gésu, la brutalité de l’expulsion a en plus entraîné un traitement inhumain et dégradant et une violation claire des droits des enfants.

Cette affaire, la Xième du genre, démontre le peu de cas que font les autorités des droits fondamentaux. Il ne s’agit pas de dérapages ponctuels mais d’une véritable régression voulue et décomplexée.