LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°338

Précipitation ministérielle

Le nouveau Ministre de l’aide à la jeunesse et des maisons de justice, Rachid Madrane, n’a pas attendu de s’immerger complètement dans ses nouvelles matières, ni même que son cabinet soit complètement constitué, pour clamer «je veux un centre ouvert pour jeunes à Bruxelles»(1).

Il reprend ainsi un projet qu’Evelyne Huytebroeck avait lancé comme ballon d’essai avant de faire machine arrière face à un froncement de sourcils des syndicats qui craignaient des pertes d’emploi dans une autre IPPJ. L’ancienne ministre de l’aide à la jeunesse avait alors commandité une recherche-action visant à identifier les enjeux de l’éloignement et de la proximité pédagogique dans le cadre des mesures de placement des jeunes en IPPJ/CFF(2)

On pourrait émettre l’hypothèse que, issu du secteur, le nouveau Ministre parle en connaissance de cause et dispose d’assises suffisantes pour avancer un tel projet et qu’il a, à tout le moins, lu l’étude sur la proximité pédagogique.

A ce stade, rien n’est moins sûr. En effet, si tel avait été le cas, il saurait que la création d’un centre à Bruxelles n’apporte à lui seul aucune solution aux nombreux maux de l’aide et la protection de la jeunesse en Belgique francophone.

Il saurait qu’il faut tenir compte de l’engorgement du système, de l’utilisation prioritaire que font les juges des institutions publiques et de l’enfermement, du projet pédagogique des institutions, de la multiplication des alternatives au placement qui deviennent des alternatives au classement sans suite, des critères d’entrée et de sortie du système, de la liberté que s’arrogent les institutions privées d’accepter ou refuser comme bon leur semble,…

« La construction d’une institution proche de Bruxelles ne sera pas efficiente pour permettre d’assurer un traitement des mineurs dans la proximité de leur milieu de vie puisque, dans le fonctionnement actuel, ils risquent de se retrouver dans cette institution des jeunes de Tournai, de Mons, de Liège, voire de Neufchâteau. »(3)

La communication du Ministre pèche aussi par sa maladresse : « 91% des enfants pris en charge doivent être aidés car ils encourent un danger » : les autres ne devraient pas l’être parce qu’ils ont commis des faits qualifiés infraction ?

Selon lui, « c’est vrai » que le nombre de jeunes ayant commis des faits qualifiés infractions est en augmentation. Pourtant, tout indique le contraire. Et il se permet maladroitement de « mandater » le Délégué général aux droits de l’enfant pour mener une réflexion au sujet de la création d’un centre ouvert pour jeunes à Bruxelles et dégager des pistes de travail, enfermant symboliquement ce dernier dans une position qui ne lui permettra plus de critiquer le projet ministériel, et donc de remplir sa mission.

Espérons qu’il ne s’agisse que de faux pas commis dans la précipitation de son entrée en fonction et que ça n’augure pas de la suite de son travail. En effet, les enjeux auxquels il va devoir faire face sont considérables : gérer la communautarisation d’un nouveau pan de la protection de la jeunesse, absorber les maisons de justice et tenter de mettre de la cohérence entre cette approche pénale et le « core buisness » de la Communauté française, assurer le transfert des différentes sections de Saint-Hubert dans le giron de la Communauté en réfléchissant ce qu’il peut faire de ce boulet hérité d’une logique purement sécuritaire,… pour n’en citer que les principaux.

Tout cela s’accommode mal de déclarations précipitées.


(1) Le Soir - 16/09/2014
(2) « Les enjeux de la proximité et de l’éloignement géographique et pédagogique dans le cadre des mesures de placement des jeunes en IPPJ/CFF et de l’accompagnement post-institutionnel », octobre 2013, réalisée par le Centre de recherches criminologiques de l’ULB et le Centre d’études sociologiques des Faculté universitaires Saint Louis (Équipe de recherche : M. Cardon, D. De Fraene, A. Franssen, A. Jaspart).
(3) Extrait de l’étude précitée.