LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Caroline De Man et Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°358

Le verbe haut, sans compromissions

Le discours du Haut-Commissaire de l’ONU pour les droits humains, Zeid Ra’ad Al Hussein, au Gala de la Fondation pour la sécurité, la paix et la justice à La Haye, le 5 septembre 2016 (1) peut surprendre par son franc-parler. Le ton est pour le moins inhabituel au regard de celui qui prévaut généralement sur la scène politique à ce (voire à tout) niveau de représentation.

«Je suis le responsable mondial en matière de droits de l’homme, de droits universels; élu par tous les gouvernements» rappelle Zeid avant de se lancer dans une diatribe adressée à «M. Geert Wilders, à ses acolytes, et à toutes les personnes comme lui – les populistes, les démagogues, les fantaisistes politiques» (il aurait facilement pu ajouter une belle brochette d’énergumènes belges à cette litanie de pauvres hères).

Comment expliquer la rareté d’un tel courage politique qui détonne avec les propos généralement lénifiants, diplomatiques, lisses qui prévalent généralement ? Quelle déception, en effet, quand au cours d’une communication, une institution de défense des droits fondamentaux ménage à ce point les autorités qu’elle évacue les points qui font mal pour privilégier les bonnes relations, ne pas fâcher l’interlocuteur ou encore garantir sa réélection.

À titre d’exemple, en 2014, la Représentante spéciale du Secrétaire Général des Nations unies sur la violence contre les enfants n’a pas évoqué lors de la présentation de son rapport annuel au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU l’annonce de l’exécution imminente de plusieurs mineurs en Arabie Saoudite, alors que cet évènement appelait la condamnation la plus virulente.

Le Haut-Commissaire apporte donc un vent de fraîcheur qu’on n’a que trop peu l’occasion d’entendre, alors qu’il ne fait en définitive que remplir la mission qui lui est impartie. Ceci vaut également pour toutes les institutions visant à mettre en oeuvre les droits fondamentaux, aux niveaux national et international. Leur indépendance doit être garantie par leur statut (cadre juridique, budget, nomination des collaborateurs, reconduction ou non du mandat…), mais tient bien sûr tout autant à la personnalité de celui qui occupe le poste. Certains ont peur de leur ombre et n’ont pas besoin de menaces pour faire profil bas; d’autres se censurent eux-mêmes ou préfèrent faire la promotion de leur propre personne plutôt que de défendre les «sans-voix».

D’autres encore, soignant leur réélection, ne vont surtout pas déplaire à ceux qui sont plus près du soleil. Il y a enfin ceux qui n’ont pas froid aux yeux et qui dénoncent les dérives, les mensonges, les abus, notamment des autorités, les violations des droits fondamentaux, bref, ceux qui utilisent les pouvoirs que leur confère leur fonction dans le but dans lequel elle a été instituée. Au vu de son dernier discours dénonçant les populistes et démagogues de tous poils, Zeid Ra’ad Al Hussein est de ceux-ci.

Toutes ces questions se posent chez nous aussi à l’heure où se discute le mandat et la forme de la future institution nationale des droits de l’Homme. Puisse ce cadre permettre l’émergence de personnalités fortes, tellement nécessaires au moment où les droits fondamentaux tombent en lambeaux.


(1) Ce discours fait l’objet de la Tribune de ce numéro, p. 3. Accessible sur le net via http://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=20452&LangID=F