LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Florence Bourton dans le JDJ N°389

À vot’ bon coeur !

Le 17 octobre, journée mondiale de lutte contre la pauvreté, est le jour où on se rappelle que la pauvreté est une violation des droits fondamentaux avant de retourner à son quotidien.

Enfin, on fait ce qu’on peut pour ne pas trop y penser, car quand des familles dorment dans la rue avec leurs enfants en décembre, à deux pas du marché de Noël, il est difficile de garder ses œillères.

Et puis fêtes de fin d’année riment avec charité; on en profite pour faire un petit geste, un don, aller distribuer de la soupe aux plus démunis le soir du réveillon, voire réaliser un défi pour Viva for Life qui prétend lutter contre la pauvreté infantile. Avec cette septième édition, la campagne promotionnelle de la radio-télévision publique s’installe durablement dans le paysage médiatique. La pauvreté s’institutionnalise encore un peu plus.

Alors oui, Viva for Life permet à plusieurs associations de sortir la tête de l’eau, oui, cela finance des projets importants, souvent de qualité, et oui, de nombreux travailleurs de la RTBF sont bien conscients du cynisme de la campagne et savent que le concept pose problème. Comme le dit Jean Blairon : «On ne peut pas mieux dire que cette action n’agit pas sur la problématique qu’elle prétend transformer, ni même que la «sensibilisation» à cette cause ne produit aucun effet, puisque nous sommes toujours confrontés aux mêmes chiffres inquiétants et que nous nous situons toujours dans le registre de l’urgence… Là où la justification de la nécessité de la répétition révèle le caractère inopérant de l’action…» (1).

Ajoutons que l’occasion est manquée d’informer sérieusement le public à propos de la pauvreté; le programme ne propose aucune analyse de ses causes structurelles, aucun débat quant aux solutions durables, aucun questionnement quant aux responsabilités de l’État et des différents gouvernements. Non, au contraire, la «pauvreté infantile» devient l’occasion d’une semaine de festivités permettant à certains politiques un moment d’auto-promotion indécente aux frais du contribuable.

D’aucuns diront que l’opération a au moins le mérite d’insuffler un brin de solidarité. Nous restons tout de même sceptiques… À quelques pas de la Grand-Place de Tournai et du fameux cube dans lequel les animatrices et animateur sont enfermés 144 heures «pour la bonne cause», un jeune homme dort dans la rue sans que nul n’y prête attention.

En réalité, l’opération de la RTBF ne fait que cristalliser la colère des professionnels, associations et institutions qui travaillent avec des familles vivant dans la précarité. Parce que la volonté politique de s’attaquer réellement à la pauvreté n’existe pas (2). Parce que depuis des années, les conditions de vie de ces familles ne s’améliorent pas, au contraire.

Parce qu’on ne veut pas (n’ose pas ?) penser en termes de responsabilité collective et remettre en cause un système défaillant. Et pourtant, «il est grand temps de dire que la réduction des inégalités doit être une priorité transversale. La pauvreté coûte beaucoup plus cher que de l’éliminer. Et aujourd’hui, on la gère, et c’est un puits sans fond, alors que l’éliminer est une potentielle ressource pour l’ensemble de l’économie réelle» (3).

Pour 2020 nous ne voulons plus de vagues intentions politiques, nous réclamons des mesures concrètes, structurelles, adaptées aux réalités des familles et personnes vivant dans la précarité. Pour que le Délégué général aux droits de l’enfant n’ait pas à refaire une fois encore dans dix ans, le constat de l’incidence dramatique de la pauvreté sur les enfants et les jeunes (4). Car, comme il le répète souvent, même si les droits de l’enfant ont soufflé récemment leurs 30 bougies, il n’y a pas un seul droit de la Convention qui résiste face à la pauvreté.

Florence Bourton


(1) Jean Blairon, «La pauvreté infantile, un concept pertinent et utile ?», Intermag.be, RTA asbl, décembre 2019,
https://www.intermag.be.
(2) La Flandre vient de décider de supprimer les subsides destinés aux projets participatifs des groupes défavorisés tout en signant un chèque pour Music for Life, le pendant flamand de Viva for Life, qui a récolté 10,8 millions d’euros cette année.
(3) Intervention de Christine Mahy dans l’émission «Matin Première», mardi 17 décembre 2019.
(4) Voir le Rapport pauvreté 2009-2019 (Droit de suite) du Délégué général aux droits de l’enfant dont des extraits vous sont proposés en pp. 17 et s. du JDJ N°389