LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°413

Chassez ce pauvre que je ne saurais voir (1)

L’histoire, éternel recommencement. Cent fois remettre l’ouvrage sur le métier. Telles sont les expressions qui viennent à l’esprit à la lecture du règlement communal de la Ville de Bruxelles qui vise à interdire la mendicité avec un enfant de moins de 16 ans sur le territoire de la Ville de Bruxelles.

Reconnaissons-le, la réponse à donner à ce phénomène n’est pas simple et personne ne peut affirmer avoir une solution à portée de main. Et rappelons également que du point de vue de l’enfant, le fait de mendier, voire vivre (puisque le règlement le reconnaît, des enfants dorment dehors) en rue, est hautement préjudiciable à sa santé, son développement, son estime de soi et globalement problématique par rapport à sa scolarité et son épanouissement personnel.

Mais, cette citation de 2017 reste cruellement d’actualité : «Car la tentation répressive est toujours bel et bien présente aujourd’hui, non seulement dans le discours des responsables politiques, mais également dans le corpus juridique. Cette repénalisation s’exprime essentiellement de trois manières: via une répression administrative communale, via la répression de la mendicité avec enfants et via la répression de la mendicité dans les transports en commun. » (2).

Sous couvert d’un langage plus avenant, invoquant largement les droits de l’enfant, destiné à convaincre certains conseillers communaux plus hésitant sur la méthode, l’objectif reste la pénalisation puisque in fine, le règlement impose une amende qui peut aller jusqu’à 350 euros.

Certes, des préalables sont prévus au travers de l’information et l’accompagnement. Mais ils ressemblent plus à des cache-sexes qu’à une véritable volonté d’attaquer le problème à la racine.

Jacques Fierens (3) pointe des illégalités au niveau de la compétence de la commune, de l’utilisation des sanctions administratives communales, de la proportionnalité de la mesure et d’une éventuelle discrimination à l’égard des Roms.

Très clairement, ce règlement ne va rien solutionner. Tant que venir mendier à Bruxelles pendant quelques semaines permet à toute une famille de gagner suffisamment d’argent pour vivre plusieurs mois en Roumanie, nous continuerons à faire face à ce phénomène.

La confiance que ces personnes accordent aux autorités est proche de zéro; les solutions proposées (l’information sur l’interdiction, l’obligation scolaire, les missions des CPAS, l’accueil de la petite enfance, ou l’accompagnement) n’auront aucune effectivité ou seront rejetées par les intéressés (d’autant que le nombre de personnes à la rue va augmenter du fait de la fermeture de places d’accueil du plan hiver).

Et on se retrouvera avec un harcèlement policier, des citoyens et commerçants qui rappelleront les règles pour chasser les mendiants et in fine un déplacement de ces populations vers des communes qui finiront par adopter un règlement similaire.

Il faudrait donc privilégier un plan d’action plus global, impliquant l’aide à la jeunesse et la justice, qui s’inscrit dans la perspective de la lutte contre la pauvreté et qui associe le public concerné à la recherche de solutions.

Même si c’est plus facile à dire qu’à faire, il faut sortir de cette approche répressive et faire preuve de plus d’imagination.

Benoit Van Keirsbilck


(1) La similitude de ce titre avec le titre de l’article de Jacques Fierens et Manuel Lambert, « Cachez ce pauvre que je ne saurais voir. De l’inutilité de la répression de la mendicité : aspects historiques et juridiques » (JDJ, n° 362, février 2017, p. 28) n’est certes pas une coïncidence.
(2) Voyez Jacques Fierens et Manuel Lambert, « Cachez ce pauvre que je ne saurais voir.(…) », op. cit.
(3) Jacques Fierens, « Note relative au règlement communal pris par la Ville de Bruxelles le 28 mars 2022, relatif à la mendicité avec enfants », JDJ 413, p. 31.