"Ici et ailleurs" du JDJ N°359

Quand la justice devient moins accessible…

L’aide juridique de seconde ligne, ce que l’on appelle communément le «pro deo», a été largement modifiée par la réforme entrée en vigueur le 1er septembre 2016.

Déjà ses premiers effets se font sentir. Ainsi, cette maman, mère de 5 enfants, vivant dans des conditions économiques précaires, qui a renoncé à l’assistance de l’avocat qui la suivait depuis longtemps. Le motif est simple, toute personne doit désormais payer 20 euros pour la désignation d’un avocat BAJ (travaillant dans le cadre du bureau d’aide juridique) et 30 euros pour chaque instance, du coup pour le prochain entretien de cabinet fixé chez son juge, cette dame doit payer 170 euros…

… pour les plus démunis,…

Un autre avocat se voit demander un complément d’information avant que l’on accorde l’aide juridique à sa cliente. Motif, madame émarge bien au budget du CPAS (notons au passage que cette expression, couramment utilisée, régulièrement raccourcie – émarger au CPAS – vient du mot « marge », comme marginal) mais les montants indiqués sur les extraits de compte fournis sont inférieurs au montant CPAS. Gagner moins que le CPAS, c’est suspect bien sûr, il faut donc plus d’informations…

En fait le CPAS payait directement le loyer de cette dame (technique dûment éprouvée de travail social), ce qui explique aisément que le reliquat versé sur son compte soit inférieur. En attendant, l’aide juridique n’était pas accordée le jour de l’audience.

Le JDJ reviendra sous peu sur l’impact de la réforme de l’aide juridique sur les procédures en droit de la jeunesse en publiant un article de Amaury de Terwangne sur cette question.

… c’est l’état de droit tout entier qui s’étiole.

Dans la série « détricotage des institutions d’aide juridique », notons que le CBAR (Comité belge d’aide aux réfugiés) a annoncé qu’il mettait fin à ses activités, faute de financements. Ce Comité, partenaire opérationnel du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en Belgique, offrait gratuitement de l’aide juridique aux demandeurs d’asile, réfugiés reconnus et bénéficiaires de la protection subsidiaire, ainsi qu’à leurs avocats et travailleurs sociaux.

Créé en 1968, le CBAR avait développé une expertise spécifique en matière d’asile, de détention et de regroupement familial.

Voilà une porte de plus qui se ferme pour les réfugiés.

Statut des familles d’accueil …

Pour compléter le petit dossier relatif au statut des accueillants familiaux, le CCAJ (Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse) a remis un avis très circonstancié (avis n° 157 accessible sur : www.ccaj.cfwb.be) à l’égard de la proposition de loi visant à modifier le Code civil en vue de l’instauration d’un statut pour les accueillants familiaux.

En un mot comme en cent, le CCAJ estime que cette proposition de loi va à l’encontre du décret relatif à l’Aide à la jeunesse du 4 mars 1991. Déposé sans concertation avec les acteurs de terrain, sans tenir compte des compétences communautaires, cette proposition risque d’accroitre les difficultés des familles d’origine, de rendre leurs relations avec les familles d’accueil plus tendues et va globalement à l’encontre de la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention européenne des droits de l’Homme.

… une proposition de loi …

Le CCAJ rappelle un arrêt récent de la Cour Soares de Melo c./Portugal du 16 février 2016 (n°72850/14) qui juge qu’« il est tout autant dans l’intérêt de l’enfant que dans celui de ses parents que les liens entre lui et sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où celleci s’est montrée particulièrement indigne : briser ces liens revient à couper l’enfant de ses racines. Il en résulte que l’intérêt de l’enfant commande que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles puissent conduire à une rupture du lien familial, et que tout soit mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, “reconstituer” la famille ».

… dangereuse et …

Le CCAJ n’est pas favorable au transfert de l’autorité parentale qui reviendrait à déposséder les parents, premiers acteurs dans l’éducation de leur enfant, de leur rôle, à affecter leur image symbolique aux yeux de leur enfant et irait à l’encontre du principe selon lequel le placement de l’enfant devrait être aussi provisoire que possible.

…contreproductive…

Outre ces questions de principe, le CCAJ relève de très nombreuses difficultés juridiques auxquelles les auteurs de la Proposition n’ont manifestement pas pensé : coexistence des décisions civiles prises par le tribunal de la famille avec les décisions protectionnelles du juge ou du directeur de l’aide à la jeunesse; non-respect des principes relatifs à l’autorité parentale,…

Et enfin, ou plutôt surtout, le CCAJ relève que rien dans la proposition de loi n’indique comment l’enfant sera associé à cette décision importante le concernant. La lecture de cet avis est hautement recommandée aux Parlementaires.


Les bésicles de Jiji

Abus de petit calibre

Quitte à paraître de très mauvais goût vu la gravité du sujet, je n’écoute que mon devoir. Le titre de couverture du J.D.J. n° 357, «Lutter contre les abus sexuels d’enfants à l’étranger», amène aussitôt à se demander quelles cochonneries ces gosses peuvent bien commettre. Il y a 5 ans (J.D.J., n° 301, p. 47), j’avais déjà mis en garde : l’emploi à tort et à travers d’ «abus, abuser, abusif» ne peut que susciter les malentendus. Il fallait écrire : «abus sexuels sur des enfants».

Même ainsi, l’expression laisse encore entendre que des pratiques sexuelles pédophiles sont licites pourvu qu’on n’en abuse pas. Pourquoi ne pas appeler crimes ce qui en est ?

C’est remboursé, Docteur ?

Au Moniteur du 22 septembre (2ème éd.), une ordonnance du 20 juillet 2016 «portant assentiment à l’accord de coopération entre la Région de Bruxelles-Capitale, la Communauté française et la Commission communautaire française, relatif à l’équipement mis à disposition dans le cadre de la refondation de l’enseignement qualifiant et à la collaboration entre les centres de technologies avancées et les centres de référence professionnelle». On n’attendait que cela.

Un grand chouette tas de chics copains (R. Goscinny)

Celui du 27 septembre donne un erratum à la loi du 21 juillet 2016 «visant à instaurer un système permanent de régularisation fiscale et sociale» (Moniteur, 29 juillet).

À côté de sa signature, le ministre (NVA) des Finances avait «erronément omis» non seulement celle du ministre (CD&V) de la Justice, mais surtout celle du «ministre des Classes moyennes, des Indépendants et des PME, W. Bursus».

Au siège du MR, ils doivent rire comme des borsus.

Défoncer les lustres

Selon l’article 4, 1° de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, la Communauté française est compétente pour «la défense et l’illustration de la langue». En voici un exemple chatoyant au Moniteur du 7 octobre, dans un arrêté ministériel du 4 juillet 2016 «portant désignation à une fonction de directeur faisant fonction» pour la Haute École Charlemagne. On lit dans le préambule que l’absence pour maladie de la titulaire «impacte lourdement l’organisation». S’il le faut, je rappelle qu’«impacter» est un franglicisme inutile pour «affecter».

Ça tombe dru

  • Chez Delhaize, une publicité pour un «parfum de toilette» : «Vaporisez dans la cuvette pour une escapade discrète». Les maniaques de bains aromatiques jubilent.
  • Après le gouvernement wallon (J.D.J., n° 356, p. 46), celui de Bruxelles-Capitale organise l’identification et l’enregistrement des chats (7 juillet 2016, Moniteur, 9 septembre). Mais si le premier arrêté était à la sauce Lapin, le second fleure la sauce Marolles : «Cette base de données a pour but de savoir identifier les chats».
  • Quant au gouvernement flamand, son arrêté du 17 juin 2016 (Moniteur, 23 août) a modifié «l’arrêté des Espèces du 15 mai 2009». Il ne s’agit toujours pas de la monnaie de ce jour-là (voir J.D.J., n° 342, p. 47), mais d’êtres vivants en permanence.
  • Quoique corrigé tout de suite, un superbe lapsus. Introduisant l’émission Un jour dans l’histoire de la RTBF-Radio (22 septembre, 14 h.) sur le «père de la Nouvelle France», le journaliste l’a présenté comme «Samuel de Shampoing». Au sirop d’érable, le Champlain ?
  • Du même fer-blanc, un chroniqueur sportif commentant un match de football (25 septembre, 18 h.) : «Une erreur de blonde… [non,] de Blondel». Toujours macho, ce sport.
  • Au sujet de la sministre M.-Ch. Marghem, Le Soir (23 septembre) cite une source anonyme au MR : «Elle s’est tiré une balle dans le pied. Cela sent mauvais». Déjà la gangrène.
  • La Libre (3 octobre) – oui, j’ai reçu un numéro gratuit – cite E. Di Rupo au congrès du PS : «Sous la houlette de Laurette…». Version moderne de «Bonne fête, Paulette» (G. Bedos).
  • Dans le Journal des tribunaux (2016, p. 553), un arrêt rendu le 13 avril 2016 par la cour d’appel de Liège : «un nouvel engagement (…) comme sapiteur-pompier-ambulancier ». Le sapiteur étant «l’expert d’un expert», voilà un super-Pimpon.